La réforme du marché de l’électricité en Europe a des conséquences directes en France. En effet, la France bénéficie du dispositif Arenh. L’Accès Régulé à l’Électricité Nucléaire Historique permet aux fournisseurs alternatifs de s’approvisionner en électricité nucléaire auprès du producteur EDF à un prix reflétant les coûts de production définis par la CRE, et ce dans un souci de juste concurrence sur le marché de l’énergie.
Les ministres de l’Énergie réunis à Bruxelles ont décidé d’un nouvel encadrement du marché de l’électricité en Europe afin de ne plus subir les prix parfois prohibitifs des marchés de gros. La volonté de l’UE est aussi de sortir de la corrélation systémique des prix du MWh de l’électricité et de ceux du gaz naturel.
Rappel du mécanisme Arenh
L’Accès Régulé à l’Électricité Nucléaire Historique (ARENH) a été instauré par la loi NOME du 7 décembre 2010. Ce mécanisme réglementé donne accès aux fournisseurs alternatifs à un volume d’électrons établi à 100 TWh par an, ce qui représente environ 25% de la production du parc nucléaire du fournisseur et producteur historique EDF. Rappelons que le parc nucléaire d’EDF regroupe 56 réacteurs atomiques. Le prix de l’électricité nucléaire a été établi à 42 €/MWh depuis le 1er janvier 2012. Ce dispositif, permettant à l’ensemble des consommateurs de bénéficier de la rente nucléaire, doit cependant prendre fin en 2025.
Pour bénéficier du dispositif Arenh, les fournisseurs alternatifs d’énergie doivent en faire la demande auprès du guichet Arenh qui est géré par la Commission de Régulation de l’Énergie (CRE). Les droits d’ARENH légitimes - c'est-à-dire la consommation d’électricité lors des heures dites ARENH - sont mis à disposition des consommateurs finaux dans la limite des volumes autorisés.
En fonction de la quantité demandée (qui dépasse les 100 TWh depuis 2019), le complément de prix est sourcé sur le marché après l’annonce de la commande finale de l’Arenh début décembre. On appelle ce mécanisme “l’écrêtement”. Ce prix complémentaire amène à un surcoût tarifaire non maîtrisé et sans clause de protection type pré-écrêtement.
Les fournisseurs d’électricité ont en revanche l’interdiction de revendre leur Arenh à prix de marché et de profiter d’une plus-value conséquente en cas d’envolée des prix de l’électricité sur le marché de gros EEX.
En 2022, pour faire face à une situation économique exceptionnelle et à une demande inhabituelle, le Gouvernement français avait attribué un volume de 120 TWh d’ARENH. Le coût pour ce volume complémentaire (20 TWh) est passé de 42 €/MWh à 46,2 €/MWh. Les pouvoirs publics avaient alors justifié cette hausse du prix de l’Arenh dans le but “ d'assurer une juste rémunération de l’outil de production qui contribue à l’ensemble des consommateurs français “.
Selon plusieurs acteurs, sans ce mécanisme, et ce, malgré le surcoût de l’écrêtement, le prix final de l’électricité aurait été multiplié par 2. Ce dispositif et son futur successeur sont donc aujourd’hui plus que nécessaires au maintien de la compétitivité des entreprises françaises.
Mais quelles leçons l'UE a-t-elle tirées de cette crise énergétique ?
Et bien elle a décidé de statuer sur une réforme de fond des marchés de l’électricité afin de garantir une souveraineté au niveau des prix et de l’approvisionnement des pays membres.
Le deuxième objectif de cette réforme est de limiter la forte corrélation entre le prix de l’électricité et celui du gaz qui joue le rôle du principal indicateur du prix de l’électron avec le pétrole, le charbon et le CO2… Le dispositif qui devra succéder à l’Arenh en France est directement relié aux prochaines réformes du marché de l’électricité.
Une réforme européenne pour contrôler les prix de l’électricité
Les Ministres de l’Énergie ont décidé de mettre en place une réforme globale du marché de l’électricité qui a des conséquences directes sur le “système français” et l’Arenh en particulier. L’objectif principal est d’encourager les investissements bas carbone et de réduire la volatilité des prix pour toutes les catégories de consommateurs et d’acteurs.
L’option qui tient la corde au Parlement européen est celle de la mise en place de contrats d’électricité à long terme et de gré à gré. L’objectif est ici de maintenir les prix et de limiter leur exposition à ceux du gaz naturel, mais elle permettra aussi d’obtenir une plus grande visibilité sur les prix de l’électricité à terme.
PPA et CfD pour encadrer les prix de marché
Établir des contrats de gré à gré et à très long terme (PPA) en plus des contrats d’écarts compensatoires bidirectionnels aussi appelés CfD pour Contracts for Difference sont les deux solutions pour remettre de l’équilibre sur un marché agité. Les PPA (Power Purchase Agreement aussi appelés accords d’achat d’électricité) sont des contrats passés entre les producteurs et les fournisseurs d’électricité, les négociants ou les entreprises “électrovores”.
Avec ce système de contrat PPA à prix fixe, le risque pour les fournisseurs alternatifs est de devoir, en cas de crise des prix de l’énergie, acheter l’énergie à un tarif très élevé et de subir des pertes financières conséquentes. Cette obligation contractuelle se doit donc d’être couverte afin de garantir la pérennité des fournisseurs alternatifs.
Définition des Contracts for Difference (CfD)
Les contrats d’écarts compensatoires bidirectionnels ou CfD ont l’avantage de compenser les pertes des producteurs, mais aussi des consommateurs. En effet, ces contrats sont signés entre les pouvoirs publics et les producteurs d’électricité avec l’objectif de fixer un prix plancher et un prix plafond de l'électricité.
Si le prix du marché est au-dessus d’un prix de référence défini par contrat, la différence est redistribuée aux consommateurs par l’intermédiaire de l’État. Mais si le prix de marché de l’électricité est en dessous, la différence de coût est redistribuée par l’État au producteur d’électrons afin de compenser ses pertes.
Il est important de noter que pour tout soutien public à des investissements dans de nouvelles installations de production d’électricité reposant sur les EnR (éolien, solaire, géothermie, hydroélectricité hors barrage et énergie nucléaire), les CfD seront obligatoires. L’objectif est ici de sécuriser l’approvisionnement en EnR et de renforcer les mécanismes de capacité.
Dans les faits, le Contract for Difference existe déjà et est largement utilisé pour le financement des EnR. En effet, lorsque l’État souhaite développer de nouvelles infrastructures ou capacités, il lance un appel d’offres et le prix du MWh le plus faible remporte le contrat.
Une fois construite, l’exploitant vend alors l’électricité à prix de marché. Un bilan de fin d’année est ensuite réalisé et si le prix de marché était inférieur au prix du CfD, l’État compense l’exploitant. Dans le cas contraire, l’exploitant verse l’excédent à l’État.
L'intérêt de la réforme actée, mais dont les modalités sont encore à préciser, va permettre au nucléaire à venir, mais surtout existant, de bénéficier de ces mesures. Il en résultera un "corridor de prix". La question est de savoir les limites de celui-ci.
Les CfD pour remplacer l’Arenh en 2025 ?
Cette future réforme du marché de l’électricité est saluée par l’ensemble des industriels français par le biais de l’Uniden (l’Union des Industries Utilisatrices d’Énergie) qui met en avant une accélération de la décarbonation de leur production grâce à l’électricité nucléaire pauvre en CO2 et une meilleure maîtrise de leurs coûts énergétiques à venir.
Cependant, EDF souhaite privilégier les PPA basés sur des prix régulés. Mais le débat tourne maintenant autour du prix de base de l’atome. Il faut en effet définir un tarif qui permet au secteur de l’industrie de rester compétitif, aux consommateurs de ne pas subir des factures d’électricité insoutenables et à EDF de pouvoir entretenir son parc et investir dans de nouvelles centrales nucléaires tout en restant compétitif sur le marché de l'énergie.
Les prix de référence souhaités diffèrent selon les acteurs du marché de l’électricité. EDF se positionne sur 120 €/MWh, la CRE moitié moins, 60 €/MWh et en se basant sur le coût de production des centrales nouvelle génération, il serait entre 100 et 110 €/MWh…
Mais de nombreuses autres questions restent en suspens. Le Parlement européen validera-t-il ce format ? L’Autorité de la concurrence européenne (DG COMP) permettra-t-elle son application ? On se souvient du projet de démembrement d’EDF nommé Hercule souhaité par Bruxelles à l’époque et qui était la condition sine qua non du dispositif Arenh actuel. Ce dernier était perçu comme une distorsion à la concurrence.
Quelles seront également les modalités de redistribution des revenus liés aux CfD ? Le défi est donc de décider d’un système qui contentera tout le monde afin de pouvoir tourner la page de l’Arenh en douceur.